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5G : pourquoi un tel retard de Paris ?

publié le 11/02/2021

Xavier Niel, président du conseil d’administration d’Iliad, la maison mère de Free, assure que la 5ème génération de réseau mobile (5G) sera disponible à Paris « avant fin février ». Selon l’Autorité de régulation des communications électroniques (l’ARCEP), au 31 décembre 2020, près de 1 700 sites 5G ont été créés par Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom en Île-de-France. Aucune antenne n’a cependant été activée dans la capitale. Comment expliquer ce retard ?
Il est principalement lié au blocage des écologistes, qui contestent l’innocuité et le bien-fondé environnemental de cette nouvelle norme technologique. Réélue maire en 2020, Anne Hidalgo s’appuie sur une majorité plurielle (socialistes, écologistes, communistes et Génération.s). Avec 24 élus dont 5 adjoints municipaux, le groupe écologiste est le deuxième groupe le plus important de cette majorité après le Parti socialiste (PS).

Déploiement de la 5G à Paris (tour Eiffel)

Des écologistes favorables à un moratoire sur la 5G

A la mi-septembre 2020, les élus écologistes ont – par l’intermédiaire d’un communiqué de presse – demandé à la ville de Paris de « prendre position sur un moratoire immédiat concernant le déploiement de la 5G ». Sur le terrain, plusieurs vœux allant dans le sens de cet appel ont été déposés par des élus Europe Ecologie-Les Verts (EELV) dans leurs arrondissements respectifs. C’est par exemple le cas dans le 15ème ou dans le 18ème. Certains élus Génération.s, à l’image de la maire du 14ème arrondissement Carine Petit, ont fait de même. Affirmant « leur volonté d’organiser un débat démocratique à Paris et dans la métropole sur la 5G », les écologistes parisiens et leurs alliés égrainent dans ces vœux les raisons d’un moratoire. « Principe de précaution » sanitaire, coût énergétique et environnemental induit par la « démultiplication du trafic » et la fabrication de terminaux compatibles, « risque d’accaparement de nos données personnelles », ou simplement rejet de « cette course folle à l’innovation » sont ainsi invoqués.

Ces préoccupations ne sont pas nouvelles. Elles découlent des revendications portées, au niveau national, par différentes associations dénonçant notamment les dangers supposément liés aux ondes électromagnétiques émises par les antennes relais. Sur ce crédo, PRIARTEM (Pour une réglementation des implantations d’antennes relais de téléphone mobile) et Robin des Toits sont au premier plan. En février 2020, la première a ainsi formé, avec Agir pour l’environnement, des recours devant le Conseil d’Etat contre le lancement des procédures d’attribution des fréquences 5G (lesquels ont depuis été rejetés). La seconde milite notamment pour l’instauration d’un seuil d’exposition maximal du public aux ondes de 0,6 Volts/mètre. Elles se mobilisent toutes deux depuis le début des années 2000 contre l’implantation d’antennes relais : en soutenant des collectifs de riverains, diffusant des pétitions, ou en signalant la pose d’antennes.
Une même volonté de sensibiliser les élus locaux se retrouve chez ces associations. En 2020, PRIARTEM appelait – au niveau national – les candidats aux municipales à décréter, en cas d’élection, un moratoire local sur la 5G. En 2014, Robin des Toits s’entretenait déjà avec les candidats à la Mairie de Paris concernant l’exposition aux ondes. Ces dernières années, PRIARTEM et Robin des Toits sont toutefois peu actives dans la capitale. Fin janvier 2020, Robin des Toits a participé à l’organisation d’une conférence et d’une manifestation à l’occasion de la « Journée mondiale de protestation contre le déploiement de la 5G ».

Au Conseil de Paris, les revendications de ces associations sont largement reprises par les écologistes. Elles sont ainsi portées dans le débat public par différents élus, dont certains occupent des postes clés dans la majorité municipale. Plusieurs adjointes se positionnent ainsi clairement en faveur d’un moratoire. C’est le cas d’Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris en charge de la politique de la ville. C’est également le cas d’Anne Souyris, adjointe en charge de la santé publique, qui défend, sur son blog, le principe de précaution en matière sanitaire. Elle reconnaît pourtant qu’« aucune étude n’a prouvé jusqu’à présent un quelconque effet délétère des ondes sur notre santé ». Toutefois, elle s’appuie sur le rapport intermédiaire de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) – qui pointe « un manque important, voire une absence de données, relatives aux effets biologiques et sanitaires potentiels » des champs électromagnétiques liés à 5G – pour affirmer que « si rien ne prouve la toxicité des fréquences liées à la technologie 5G, il semble bien que rien, à l’heure actuelle, n’en garantisse non plus l’innocuité ». Un argument classique des militants, qui repose sur la méconnaissance par le grand public et les décideurs publics d’un principe scientifique : l’impossibilité de prouver l’inexistence d’un effet.

Les questions de coûts énergétique et environnemental constituent l’autre point clé de l’argumentaire déployé par les élus écologistes à Paris. Avec un trafic « multiplié par 50 […] on ne peut pas affirmer que la 5G soit écologique », assure ainsi Emile Meunier, conseiller EELV du 18ème arrondissement. « Il faut savoir le monde vers lequel on veut aller. Si on veut un monde plus sobre en carbone, on reste sur la 4G. Sinon, on va exploser les compteurs en matière énergétique et en termes de ressources (fabrication des terminaux…) », estime-t-il. Partagée par plusieurs élus, cette crainte de « l’effet rebond » est notamment portée, dans la sphère associative, par The Shift Project, un think thank favorable à « une sobriété numérique » présidé par Jean-Marc Jancovici. Ce dernier est par ailleurs co-fondateur et associé de Carbone 4, un cabinet de conseil et d’études spécialisé dans la transition énergétique pour lequel a travaillé Alexandre Florentin, conseiller écologiste du 13ème arrondissement.
La dénonciation du coût énergétique dérive souvent sur la notion même de progrès. Jérôme Gleizes, vice-président du groupe écologiste au conseil municipal, affirme par exemple que « le progrès n’est pas une fin en soi. La 5G, ça n’est pas le progrès. C’est la technologie, c’est le capitalisme. Ce que nous dénonçons et qui rend la 5G totalement inopérante d’un point de vue écologiste, c’est la quantité d’énergie qu’il faut pour utiliser la 5G ».

Une majorité sous tension

Cette demande de moratoire sur le déploiement de la 5G intervient à un moment particulier. En 2020, plusieurs affaires ont alimenté les tensions entre le groupe écologiste et les autres composantes de la majorité. L’« affaire Girard » (les écologistes Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu réclamaient la démission de l’ancien adjoint à la culture Christophe Girard) et l’« affaire Samuel Paty » (Anne Hidalgo a estimé que les Verts avaient « un problème de rapport à la République ») ont laissé des traces. Par ailleurs, la perspective des prochaines échéances électorales (les élections régionales en 2021 et la présidentielle en 2022) exacerbe les rivalités. Pour les régionales, « chacun sera amené à faire campagne séparément », au moins au premier tour. De nouvelles divisions pourraient survenir, si Anne Hidalgo et Yannick Jadot se lancent tous deux dans la course à l’Elysée en 2022.

Dans ce contexte, les débats autour de la 5G apparaissent comme une opportunité, pour Anne Hidalgo, de ménager ses alliés écologistes. Aussi, ne souhaitant pas de moratoire, elle a néanmoins annoncé l’organisation d’une « conférence citoyenne métropolitaine ». Composée de 80 habitants de Paris et du reste de la métropole, cette conférence a finalement abouti, le 16 décembre 2020, à 21 recommandations assez peu contraignantes pour les opérateurs, mettant avant tout en lumière une demande de transparence (réaliser une campagne d’information sur les bénéfices et les impacts de la 5G, réaliser une étude d’impact environnemental indépendante…). Défendue par Robin des Toits et certains élus EELV, la révision du seuil d’exposition aux ondes (fixé à 5 Volts/mètre par la Charte relative à la téléphonie mobile de 2017) n’est pas retenue.
Les résultats de la conférence citoyenne métropolitaine n’ont donc pas satisfait les écologistes, qui réclament à nouveau un moratoire. La position d’EELV est partagée par la conseillère du 20ème arrondissement Danielle Simonnet, oratrice nationale de La France Insoumise. Opposée dès l’origine au principe même de la conférence citoyenne, elle en dénonce les résultats, jugeant les recommandations formulées « dans le cadre acté de la 5G ».

Toutefois, ces positionnements jusqu’au-boutistes sont largement minoritaires. Salués par des élus de tous bords, les travaux de la conférence citoyenne métropolitaine ont ainsi pour conséquence immédiate d’isoler les écologistes. En effet, au-delà des clivages partisans et des nuances de positionnement, un soutien franc à la 5G se dessine au sein de la majorité comme de l’opposition. Pour le groupe Communiste et citoyen, « sans maîtrise industrielle, nous sommes dépendants de choix qui ne sont pas les nôtres », estime le conseiller du 13ème arrondissement Jean-Noël Aqua. Au niveau national, le Parti communiste français (PCF) est d’ailleurs très critique vis-à-vis d’un moratoire qui « joue sur les peurs », selon les mots de Yann Le Pollotec, responsable du collectif Révolution informationnelle et numérique au PCF. Pour lui, la 5G doit être mise « au service du développement humain sur les territoires, dans le cadre d’une maîtrise publique et citoyenne ».
Les autres groupes se montrent tout aussi favorables à cette technologie, insistant néanmoins sur un impératif de transparence. Ainsi, pour le MoDem, « les Parisiens ne refusent rien, ils veulent simplement être associés et informés ». Les Indépendants et Progressistes, proches de La République En Marche, estiment, eux, que la 5G doit être contrôlée, encadrée, mais qu’elle n’en demeure pas moins « utile pour tous ». Enfin, s’ils dénoncent pour la forme une conférence citoyenne « bâclée, ratée », les élus de droite du groupe Changer Paris adoptent sur le fond un positionnement similaire, à savoir une demande de transparence devant permettre de « concilier la santé des Parisiens et le progrès technologique ».

Conclusion

Le retard concernant le déploiement de la 5ème génération de réseau mobile à Paris résulte principalement de l’opposition des écologistes, composante centrale de la majorité. Anne Hidalgo entend leur donner des gages, alors que les désaccords se multiplient. Le verrou écologiste est cependant fragilisé. En effet, la conférence citoyenne métropolitaine et ses recommandations – peu contraignantes et consensuelles – ont favorisé une marginalisation d’un groupe EELV trop radical au sein de la majorité municipale. Aussi, début 2021, les équilibres politiques penchent très nettement en faveur d’un rattrapage du déploiement de la 5G dans la capitale.

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