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Bonnes pratiques de vérification des faits : des points de vue divergents entre fact-checkers et collectifs d’OSINT

publié le 20/06/2022

L’European Fact-Checking Standards Network (EFCSN), qui rassemble des organisations européennes spécialisées dans le fact-checking et le renseignement en sources ouvertes (OSINT) autour d’un projet de définition de normes de qualité communes dans la lutte contre les infox, a publié début juin 2022 ses recommandations pour le futur Code européen des bonnes pratiques professionnelles de fact-checking et d’OSINT. Ce code, développé par l’EFCSN avec le soutien de l’Union européenne, définira des règles à respecter – en matière d’indépendance, de transparence et de méthodologie – pour être reconnu comme un vérificateur de faits digne de confiance.

Ces recommandations résultent d’une consultation menée par l’EFCSN auprès de 49 organisations de fact-checking et d’OSINT – de 28 pays, dont 26 européens –, ainsi que des contributions d’universitaires et d’autres parties prenantes (associations de médias, représentants de la société civile…).Page de garde du rapport de l'EFCSN

Une norme de référence inclusive et flexible

Les organisations de fact-checking et d’OSINT interrogées estiment essentiel de définir des normes de référence de nature à convaincre les citoyens de l’intégrité des professionnels de la vérification de faits. Le projet de Code répond à cet objectif. Le succès de l’initiative dépend toutefois de sa capacité à rassembler. Pour ce faire, il est nécessaire que le Code soit inclusif. Doivent pouvoir y adhérer les organisations se consacrant exclusivement au fact-checking, mais également les médias disposant de services dédiés, sous réserve que ces derniers publient des vérifications à un rythme régulier.

Parallèlement à cette inclusivité, de nombreux répondants ont souligné l’importance de la flexibilité. Les règles prévues par le Code doivent ainsi pouvoir s’adapter aux contextes locaux dans lesquels évoluent les organisations signataires et aux situations exceptionnelles, « comme par exemple la guerre en Ukraine ». Dans certains cas, le fact-checking lié à ce conflit ne peut en effet « pas être totalement transparent », car il existe un risque de mise en danger des civils et militaires sur le terrain (divulgation des mouvements de troupes, etc.).

Les principes généraux : apolitisme et transparence financière

Parmi les répondants, un consensus existe quant à la nécessité, pour les organisations signataires du Code, d’observer une stricte neutralité politique. Cela exclut par exemple d’appeler à voter pour un candidat, ou de travailler pour un parti politique.

En revanche, la plupart des organisations interrogées (36 sur 49) ont estimé qu’il est acceptable de vendre des « conseils aux entreprises ou aux institutions publiques sur la manière de gérer la désinformation ». Les répondants s’accordent néanmoins sur une obligation de transparence financière. Au minimum, les signataires devraient s’engager à divulguer le nom « de chaque donateur, partenaire commercial ou client contribuant à plus de 5 % » de leur budget annuel, ainsi que les sources de financements « les plus controversées ».

Les organisations désirant aller encore plus loin dans la transparence seraient en outre valorisées auprès du public par un symbole distinctif.

La « transparence organisationnelle » sujet de discorde

Les attentes des professionnels du fact-checking diffèrent parfois de celles des professionnels de l’OSINT. À cet égard, la « transparence organisationnelle » apparait comme l’un des points les plus clivants. Cette exigence, qui implique notamment qu’une organisation rende publique l’identité de ses membres, est ainsi soutenue par 90% des fact-checkers interrogés, tandis que les deux tiers des collectifs d’OSINT la rejette.

Pour autant, une majorité de répondants considèrent qu’il serait artificiel d’opérer une distinction entre les deux activités, qui reposent sur « des méthodes et valeurs similaires ». L’EFCSN recommande donc de créer « un code unique » applicable à tous, mais avec un système de classification adapté aux différents types d’organisations.

Le défi de l’harmonisation des pratiques

Le Code vise à favoriser l’émergence d’une méthodologie commune de lutte contre les infox. Les répondants sont néanmoins divisés sur l’opportunité d’autoriser certaines pratiques, notamment le recours à des « sources anonymes » et la possibilité d’accorder un « droit de réponse » aux émetteurs d’infox démystifiées. Il y a également un débat sur le meilleur moyen de déterminer quelles sont les fausses informations qui doivent être traitées en priorité (faut-il se concentrer uniquement sur les contenus les plus viraux ?).

Le Code devra trouver « le juste équilibre » entre ces différentes approches du fact-checking. L’EFCSN recommande par exemple d’autoriser le recours à des sources anonymes « uniquement dans des cas exceptionnels lorsque l’information a été corroborée par d’autres sources ». Quant au droit de réponse et de correction laissé aux personnes incriminées, il « devrait être reconnu comme une bonne pratique, mais pas comme une exigence ». Concernant le choix des infox sur lesquelles enquêter, l’intérêt public « devrait être la motivation première ». La viralité « peut être une raison » valable, mais non « une exigence ».

Une première version du Code devrait être présentée fin juin 2022 à l’occasion de la convention Global Fact 9, organisée par l’International Fact-Checking Network (IFCN) du 22 au 25 juin à Oslo, en Norvège. La version finale devrait être publiée en septembre 2022.

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