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Ingérence électorale : la présidentielle américaine dans le viseur de Pékin

publié le 30/09/2024

Alors que les Américains doivent se rendre aux urnes en novembre, le régime chinois accentue ses efforts pour semer la division parmi les électeurs. Deux études publiées en avril et en septembre, respectivement par le think tank britannique Institute for Strategic Dialogue (ISD) et l’entreprise américaine Graphika, alertent sur les stratégies de plus en plus insidieuses mises en œuvre par Pékin. Un point retient particulièrement l’attention : l’émergence de faux profils de citoyens américains sur les réseaux sociaux.Image illustrant le risque d'une ingérence chinoise dans l'élection présidentielle américaine de novembre 2024

Image d’illustration générée par l’IA DALL-E

Une stratégie calquée sur le modèle russe

Le régime chinois mobilise depuis plusieurs années un réseau de comptes, actifs sur différentes plateformes, pour promouvoir des récits pro-Pékin et anti-occidentaux. Cette opération, baptisée « Spamouflage » par les chercheurs en raison de sa propension à camoufler des messages à caractère politique dans un flot de contenus anodin (spams), a été identifiée pour la première fois en 2019 par Graphika. Elle n’a depuis cessé de se développer. En 2023, Méta, la maison mère de Facebook et Instagram, a ainsi identifié et supprimé 7 704 comptes, 954 pages et 15 groupes liés à cette campagne sur Facebook, ainsi que 15 comptes sur Instagram.

Longtemps considérés par les chercheurs comme inefficaces, en raison de leurs publications de piètre qualité, les comptes liés à l’opération « Spamouflage » semblent actuellement tester une nouvelle stratégie. Calquée sur le modèle russe, cette dernière consiste à exacerber les divisions sociétales existantes. Signe de cette évolution, l’ISD a identifié pour la première fois des faux comptes se présentent de manière convaincante comme des partisans de Donald Trump et du mouvement MAGA (« Make America Great Again », la frange la plus à droite du Parti républicain). Reprenant des thématiques chères à l’extrême droite américaine (la supposée fraude électorale de 2020, la dénonciation du « wokisme », etc.), certains de ces comptes sont parvenus à toucher d’authentiques utilisateurs.

Un dénigrement de la démocratie

Selon Graphika, cette stratégie ne cible pas uniquement les partisans de Donald Trump. Elle s’adresse à un éventail plus large d’internautes américains. La vingtaine de profils inauthentiques identifiés par l’entreprise met ainsi l’accent sur « le patriotisme et la fierté nationale », plutôt que sur des personnalités politiques. D’ailleurs, à une exception près, ces profils ne revendiquent pas explicitement une appartenance à la mouvance « MAGA ».

Des contenus émanant d’utilisateurs authentiques, tels que des influenceurs anti-establishment ou des partisans de Donald Trump, ont été fréquemment relayés par ces comptes. Toutefois, un « petit nombre de posts critique également Donald Trump et le Parti républicain ». Pour les chercheurs, cela indique que « les profils identifiés n’ont pas l’intention de promouvoir un candidat spécifique, mais plutôt de dénigrer les responsables politiques américains dans leur ensemble », et à travers eux, la démocratie. Concrètement, cette stratégie s’est traduite par des publications « semant le doute sur la légitimité du processus électoral », ou mettant en avant des « récits clivants sur des questions sociales sensibles, telles que le contrôle des armes à feu, les sans-abri, la toxicomanie, les inégalités raciales et le conflit entre Israël et le Hamas ».

Des faux profils plus crédibles, mais imparfaits 

Les faux profils de citoyens américains identifiés par Graphika présentent une particularité : ils sont bien plus crédibles que ceux qui étaient jusqu’à présent utilisés dans le cadre de l’opération « Spamouflage ». Les chercheurs soulignent notamment l’utilisation de symboles pertinents (drapeaux et images de soldats américains) pour les « bios », les noms d’utilisateur et les photos de profil. Ces profils se présentent ainsi comme des électeurs américains, des militaires ou des internautes qui « aiment l’Amérique », mais qui sont déçus par la politique actuelle.

Ce souci du détail a néanmoins ses limites. Les chercheurs ont ainsi relevé plusieurs erreurs permettant de prouver qu’il s’agit bien de comptes inauthentiques. Par exemple, l’utilisation de photos de profil génériques, créées à l’aide d’images achetées sur internet, ou encore la publication manifestement involontaire de messages en mandarin.

Une portée encore limitée

Pour l’heure, l’audience de ces faux comptes demeure dans l’ensemble très limitée. Cela pourrait cependant évoluer à l’avenir. Une exception notable a en effet été relevée par Graphika : une vidéo émanant d’un compte lié à l’opération « Spamouflage » a ainsi été visionnée 1,5 million de fois sur la plateforme TikTok.

Alors que la campagne pour les élections de novembre bas son plein, les efforts pour détecter et neutraliser les opérations d’influence du régime chinois seront cruciaux pour garantir l’intégrité du scrutin.

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