Se légitimer par l’armée : le pari militaire de la mouvance QAnon
publié le 04/01/2023
Aux États-Unis, la mouvance complotiste QAnon s’appuie sur la bonne image de l’armée et des anciens combattants pour légitimer ses obsessions et attirer de nouveaux adeptes. Une étude publiée en décembre 2022 par l’ONG américaine Human Rights First analyse cette stratégie d’influence.
L’armée, rempart contre l’« État profond »
Le mouvement QAnon repose à l’origine sur une croyance en l’existence d’une organisation pédocriminelle sataniste, la « Cabale », qui se livrerait à un trafic d’enfants en toute impunité sous la protection de l’« État profond » ( « deep state » en anglais), une composante corrompue de l’establishment qui détiendrait secrètement le pouvoir.
Érigé en icône par les adeptes QAnon, l’ancien président américain Donald Trump – en fonction de 2016 à 2020 – est présenté comme le seul dirigeant capable de combattre ce « deep state » maléfique. Pour ce faire, il bénéficierait du soutien de l’armée, laquelle préparerait « une guerre » contre les « élites pédophiles […] qui ont corrompu tous les niveaux du gouvernement ».
Depuis la défaite de Donald Trump à l’élection présidentielle de 2020, remportée par le candidat démocrate Joe Biden, cette matrice originelle s’est couplée à des allégations – sans fondements – de fraudes électorales. Ces accusations réapparaissent désormais à chaque scrutin, comme par exemple lors des élections de mi-mandat en 2022. Dans ce cadre, « les récits mettant en scène les militaires ont évolué » vers l’idée que ces fraudes imaginaires justifieraient un « coup d’État militaire [….], seul moyen d’éviter une guerre civile ».
Accréditer l’idée d’une alliance avec les militaires
Les militaires sont ainsi au cœur des récits complotistes QAnon. L’armée américaine y est mise en valeur, dépeinte comme « un protagoniste héroïque ». Pour les auteurs de l’étude, cette héroïsation répond à un objectif précis : donner l’impression que « le mouvement [QAnon] est allié à l’armée ». Ce faisant, le mouvement espère tirer profit du prestige dont jouit l’armée auprès du grand public pour « donner de la crédibilité » à ses récits complotistes, et recruter de nouveaux adeptes.
Concrètement, cette stratégie se traduit par la mobilisation d’un langage et de symboles militaires. Sur les réseaux sociaux, les influenceurs QAnon surnomment par exemple leur communauté l’« armée numérique » (« Digital Army »). Les « soldats » de cette « armée » sont incités à mener une « guerre des mèmes ». Ces images décalées, que l’on partage sur les réseaux sociaux pour faire passer une idée, sont assimilées à des « munitions ». L’appropriation des codes militaires est aussi visible sur les produits dérivés vendus aux adeptes (tee-shirts, etc.). Ces produits imitent l’esthétique militaire, en prenant soin d’« évit[er] les références obscures auxquelles seuls les militaires chevronnés pourraient s’identifier ». L’objectif est bien de se servir de l’imaginaire lié à l’armée pour attirer un large public.
Jouer la carte des anciens combattants
Pour les auteurs de l’étude, cette stratégie « militaire » du mouvement QAnon porte ses fruits, en particulier auprès des vétérans. L’ONG Human Rights First établit ainsi un constat : alors qu’ils ne représentent qu’« environ 7% de la population » américaine, les anciens combattants sont « surreprésentés » au sein de la mouvance QAnon. Ainsi, 6 des 53 comptes QAnon le plus influant sur Telegram – soit 11% – sont administrés par des vétérans, ou des personnes se présentant comme tels. En outre, 18 des 96 sympathisants (19%) QAnon arrêtés après l’assaut sur le Capitol, le 6 janvier 2021, étaient d’anciens combattants.
Ces anciens combattants jouent un rôle central pour renforcer la crédibilité des théories QAnon et les diffuser. La « quasi-totalité » des 25 vétérans pro-QAnon étudiés dans le cadre du rapport affirment par exemple, sur les réseaux sociaux, que leur croyance « est fondée sur des connaissances acquises pendant leur service ». Certains de ces profils ont une audience importante. Ainsi, les 16 profils les plus actifs comptent près d’un million d’abonnés cumulés sur la messagerie Telegram. Cette « armée numérique » ne se contente pas « de consommer passivement des contenus ». Elle promeut le mouvement QAnon et « d’autres mouvements extrémistes » connexes (antisémites notamment), qu’elle contribue à renforcer.
En définitive, les auteurs de l’étude estiment que la stratégie actuelle du mouvement QAnon pour recruter de nouveaux adeptes, consistant à rechercher l’appui de la communauté militaire, menace « la stabilité de la démocratie américaine ». Les appels répétés à une intervention militaire sont jugés particulièrement préoccupants, dans la mesure où ils nuisent à « la compréhension des limites légales encadrant le rôle de l’armée » sur le territoire américain. Face à cette situation, les auteurs suggèrent notamment de renforcer les « politiques de lutte contre l’extrémisme » dans l’armée, ainsi que parmi les vétérans, afin de mieux sensibiliser ces publics aux théories QAnon.
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