Le prebunking, un vaccin contre la désinformation
publié le 14/09/2022
Fin août 2022, Google a indiqué vouloir tester en Slovaquie, en République tchèque et en Pologne une nouvelle méthode de lutte contre les infox : la réfutation préventive (« prebunking »), consistant à sensibiliser les internautes aux techniques de désinformation afin qu’ils puissent identifier les contenus problématiques et s’en protéger. Cette annonce intervient après la publication d’une étude réalisée par des chercheurs en psychologie des universités de Cambridge et Bristol (Royaume-Uni) – en partenariat avec Jigsaw, une entité de Google qui s’emploie à éliminer les menaces en ligne – démontrant l’efficacité de cette approche.
Prévenir plutôt que guérir
Les auteurs de l’étude soulignent que face aux infox, le recours au fact-checking – c’est-à-dire de la vérification des informations contribuant au débat public – a ses limites. En effet, l’opération de vérification n’est lancée qu’après la publication d’une information erronée. De plus, en ligne, la vérification génère le plus souvent moins d’interactions que la fausse nouvelle qu’elle démystifie. Aussi, il est donc « peu probable » que le fact-check « touche toutes les personnes exposées à la désinformation initiale ».
Les chercheurs présentent le prebunking comme un moyen de combler ces lacunes. L’idée est d’intervenir avant même la publication d’une infox, en renforçant de manière préventive la « résistance psychologique [des internautes] contre les tentatives de persuasion non désirées ». Comment ? En s’inspirant de la théorie de l’inoculation vaccinale. Il s’agit d’exposer les internautes à une « micro dose » de désinformation, tout en leur expliquant en quoi cette infox est inexacte et comment elle cherche à les manipuler. L’objectif est ainsi de favoriser le développement d’une « immunité » contre les fake news.
Une expérience sur YouTube
Souhaitant mettre en pratique cette théorie, les scientifiques ont créé une série de courtes vidéos démystifiant les cinq techniques de manipulation les plus couramment utilisées par les producteurs d’infox en ligne : la mobilisation d’une rhétorique de l’émotion (tristesse, indignation, colère…), l’emploi d’arguments incohérents, la présentation de faux dilemmes, la désignation de boucs émissaires et les attaques ad hominem.
Concrètement, chaque vidéo prévient l’internaute qu’il va être exposé à une infox, lui explique en amont la technique qui va être employée pour tenter de le manipuler, et enfin le confronte – de manière humoristique – à une dose de désinformation tirée d’extraits d’œuvres populaires, telles que la saga Star Wars ou la série animée South Park.
Pour les besoins de l’expérience, plusieurs de ces créations ont été diffusées sur la plateforme YouTube, sous la forme de publicités vidéo se déclenchant automatiquement avant le démarrage du contenu sélectionné par l’utilisateur. Selon Google Jigsaw, près d’un million d’internautes américains ont ainsi regardé une « vidéo d’inoculation » pendant au moins 30 secondes.
Des résultats prometteurs
30% de ces personnes ont ensuite été invitées à répondre à un questionnaire visant à déterminer leurs capacités à identifier des techniques de manipulation. Il ressort de ce test que l’exposition à une « vidéo d’inoculation » augmente de 5% en moyenne le taux de reconnaissance de ces techniques. Les participants « inoculés » sont également « moins susceptibles de partager des contenus manipulateurs ». De plus, il apparait que l’inoculation est efficace sur des catégories de populations très variées : il n’y a de différences majeures de réception en fonction du sexe, de l’âge, ou de l’orientation politique par exemple. Ainsi, les chercheurs estiment que le prebunking peut potentiellement – s’il est étendu à tous les médias sociaux – réduire drastiquement le nombre d’infox en circulation. Selon eux, ce déploiement à grande échelle pourrait en outre s’effectuer à peu de frais, le coût d’achat des encarts publicitaires étant relativement faible.
Encourageante, l’étude a néanmoins certaines limites. Tout d’abord, les chercheurs ne savent pas si « l’effet d’inoculation reste significatif » au-delà de vingt-quatre heures. Ensuite, l’expérience a été réalisée auprès d’un public résident exclusivement aux États-Unis. Il n’est donc pas certain que « le traitement par inoculation est transposable dans des contextes culturels et linguistiques différents ». Enfin, il reste encore à déterminer l’effet du prebunking face à des « techniques de manipulation contre lesquelles les personnes n’ont pas été spécifiquement inoculées ».
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