Les dérives sectaires : regards croisés sur un phénomène en mutation
publié le 28/03/2022
Comment le phénomène sectaire a-t-il évolué, « d’hier à aujourd’hui » ? L’UNADFI, une association qui vient en aide aux victimes de sectes, a invité des spécialistes, professionnels et universitaires, à apporter des éléments de réponses dans le cadre d’un colloque organisé fin mars 2022 à Paris. Regards croisés.
La pandémie, catalyseur des mutations du phénomène sectaire
Les victimes de sectes sont nombreuses. En 2020, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a enregistré plus de 3 000 saisines. Un chiffre en hausse de 40% par rapport à 2015, et de 7% par rapport à 2019. De plus, le nombre réel de victimes est certainement sous-évalué, observe la Miviludes, qui remarque que beaucoup de personnes n’ont pas conscience d’être en situation de dérive sectaire. Cette difficulté à identifier les victimes s’inscrit dans un contexte particulier, marqué par une « atomisation des dérives sectaires, qui se traduit par un nombre accru de charlatans ».
Un constat partagé par le journaliste Timothée de Rauglaudre, co-auteur en 2021 – avec Jean-Loup Adénor – de l’ouvrage « Le nouveau péril sectaire », qui dresse un état des lieux du phénomène sectaire. Ce dernier a beaucoup changé ces dernières années. Encore très présente dans l’imaginaire collectif, la perception de la secte comme une organisation structurée aux ramifications internationales (l’Ordre du Temple solaire, les Enfants de Dieu, etc.) est aujourd’hui très largement dépassée. Dernièrement, la crise du Covid-19 a ainsi révélé et accentué de profondes mutations du phénomène sectaire. Sur le plan des thématiques privilégiées par les gourous, la pandémie a favorisé un « déplacement de la religiosité [la volonté de créer une religion alternative] vers les questions de santé ». Parallèlement, l’exposition accrue des individus au numérique (du fait des confinements successifs) a conduit, d’une part, à une multiplication des petits groupes sectaires en ligne, et d’autre part, au rapprochement de communautés complotistes jusqu’alors isolées les unes des autres (avec l’organisation d’émissions sur les réseaux sociaux). Cette convergence s’est opérée autour de préoccupations communes, notamment l’opposition à la vaccination et le rejet du « discours officiel » sur la pandémie.
La santé, domaine de prédilection des mouvements sectaires
Mise au centre de l’attention par la crise sanitaire, la santé est aujourd’hui le domaine pour lequel le risque de dérive sectaire et le plus important. En 2020, 38% des saisines de la Miviludes concernaient la santé et le bien être (médecine complémentaire et alternative, psychothérapie et développement personnel…).
Si les « propositions thérapeutiques non éprouvées » ne sont pas nécessairement dangereuses pour la santé, elles peuvent néanmoins être le support de pratiques d’escroqueries et favoriser un phénomène d’emprise mentale menant potentiellement à des dérives sectaires. Il existe ainsi un « continuum entre les dérives thérapeutiques et la dérive sectaire », souligne Bruno Boyer, président de la section Santé Publique du Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM). Ces dérives sont encouragées par des individus sans scrupules exploitant la détresse de malades en souffrance (physique ou psychique) et en demande d’une écoute que le système de santé « traditionnel » peine parfois à leur fournir. « En 2019-2020 », le CNOM a constaté une forte augmentation des cas d’exercice illégal de la médecine. Les autorités de contrôle se heurtent toutefois à plusieurs freins, nommant la difficulté de réunir des éléments de preuve.
Pour remédier à cette situation, le Conseil National de l’Ordre des Médecins formule plusieurs propositions. D’une part, « réactiver » le Groupe d’appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (GAT) et mettre en place une campagne d’évaluation des pratiques non conventionnelles. D’autre part, sensibiliser les patients aux signes permettant de détecter un praticien douteux : demande de ne pas informer son médecin traitant, dénigrement systématique des traitements existants, etc. Par ailleurs, un nouveau dispositif d’alerte va être expérimenté pour faciliter les signalements, avec la désignation de référents départementaux du CNOM sur les dérives sectaires.
Le succès de la pensée « New Age », terreau favorable aux dérives sectaires dans le domaine de la santé
Le courant de pensée « New Age » connait un succès grandissant ces dernières années. L’objectif du New Age, un syncrétisme scientifico-religieux né au XIXème siècle, « est de transformer l’homme, de le formater pour l’intégrer à un Tout, un groupe capable de s’interconnecter avec Gaïa (la Terre mère) ». Pour ce faire, l’Homme ne doit plus se fier à ses connaissances, à la science, mais à son instinct. Ce « changement de paradigme » tient à la fois « de la volonté de chacun, par le développement personnel, et de l’inéluctable, par un déterminisme astrologique ». Selon l’UNADFI, nombre de mouvements présentant un risque de dérive sectaire sont directement issus de la pensée « New Age » : l’Anthroposophie de Rudolf Steiner, la Scientologie…
Le New Age rejette tout ce qui constitue la société actuelle, induisant « des ruptures sociales et familiales ». À la place, les new agers se voient proposer « une idéologie protéiforme qui s’adapte à tous et à tous les sujets : la religion, la science, la philosophie, l’ésotérisme, l’astrologie, le développement personnel, les médecines de l’âme, les médecines du corps… ». Le New Age prospère ainsi en répondant à tous types de demandes, notamment les demandes de thérapies alternatives. Ce courant a su « créer un phénomène de mode, pénétrer plusieurs secteurs de la société et générer un marché colossal ».
Retrouvez d’autres éclairages sur les infox
Pour se renseigner sur l’offre de formation.
Pour nous contacter et nous suivre sur Twitter et LinkedIn.