5G et menace pour la santé : des anti-ondes peu nombreux mais motivés
publié le 08/03/2021
Anne Souyris, l’adjointe à la santé publique de la mairie de Paris, affirme que « si rien ne prouve la toxicité des fréquences liées à la technologie 5G, il semble bien que rien, à l’heure actuelle, n’en garantisse non plus l’innocuité ». Contestable sur le plan scientifique, cet argument illustre néanmoins une tendance de fond : le déploiement de la 5G s’accompagne de la diffusion d’un discours anxiogène. S’appuyant sur des contenus faux ou trompeurs, des « infox », celui-ci instille la peur en développant l’idée que les ondes émises seraient nocives pour la santé.
Ce discours est porté par plusieurs associations anti-ondes. En France, PRIARTEM est la plus visible. Elle mène diverses actions, tant auprès des élus que devant les tribunaux. En outre, elle est en relation avec des scientifiques qui, s’ils sont controversés, lui permettent néanmoins de crédibiliser ses revendications. Dans une moindre mesure, Robin des toits participe à cet effort de légitimation scientifique. Elle met notamment en avant les travaux du professeur Dominique Belpomme. En délicatesse avec le Conseil national de l’ordre des médecins, ce cancérologue est aujourd’hui la principale caution scientifique des anti-ondes. Ce microcosme français s’inscrit au sein d’un réseau international d’opposants aux ondes, se renforçant mutuellement.
PRIARTEM à la pointe de la mobilisation anti-ondes hexagonale
Le mouvement anti-ondes se structure autour d’une constellation d’associations, dont PRIARTEM (Pour Rassembler, Informer et Agir sur les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques) est la représentante la plus visible. Fondée au début des années 2000, cette association se positionne sur le danger supposé des champs électromagnétiques.
PRIARTEM est à la pointe de la mobilisation anti-ondes au niveau national. S’opposant à la 5G (après s’être opposée à la 3G puis à la 4G), elle recourt à de multiples modes d’action. Avec Agir pour l’Environnement, association qui fait « pression sur les responsables politiques et décideurs économiques en menant des campagnes », elle est ainsi à l’origine d’une pétition demandant l’adoption d’un moratoire sur l’attribution des fréquences 5G. PRIARTEM appelait également les candidats aux élections municipales 2020 à décréter, en cas d’élection, un moratoire local sur la 5G. En février 2020, elle a par ailleurs formé, là encore avec Agir pour l’Environnement, des recours devant le Conseil d’Etat contre le lancement des procédures d’attribution des fréquences 5G (lesquels ont depuis été rejetés).
Robin des toits, un relai des discours anti-ondes
Fondée à la même période que PRIARTEM, l’association Robin des toits agit davantage comme un relai médiatique. Interlocutrice de référence pour les journalistes, elle fait connaître les discours des opposants aux ondes. Elle participe ainsi à des conférences en compagnie de personnalités connues pour leur engagement militant et associatif. Par exemple en décembre 2020, avec Michèle Rivasi, eurodéputée Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Cette dernière est aujourd’hui présidente de l’Association Zones Blanche (AZB), dont Robin des toits est adhérente. AZB propose de créer des lieux de vie, de recherche et de suivi médical « pour des personnes devenues électro-hypersensibles (EHS) et chimico-sensibles (MCS) ».
Robin des toits centralise par ailleurs des contenus présentés comme « scientifiques », offrant de la visibilité à des travaux allant dans le sens de ses revendications. L’association s’est ainsi fait l’écho, en janvier 2021, de la sortie du dernier ouvrage dirigé par le professeur Belpomme. Très présent dans l’univers anti-ondes, ce dernier fait partie des chercheurs sur lesquels s’appuient les militants pour crédibiliser leurs revendications.
La mise en avant de scientifiques controversés
Afin de légitimer leurs revendications, les associations anti-ondes comptent sur la visibilité dont bénéficient, dans les médias, des scientifiques et médecins acquis à leur cause. A cet égard, Marc Arazi et Dominique Belpomme s’imposent comme des figures incontournables du paysage hexagonal.
Marc Arazi a participé, de 2009 à 2012, au « Grenelle des ondes » pour le compte de PRIARTEM. Président d’Alerte Phonegate, association qu’il a fondée en mars 2018, il a bénéficié d’une exposition médiatique notable à l’occasion de la sortie de son ouvrage « Phonegate. Tous surexposés, Tous trompés, Tous mis en danger par nos portables », en novembre 2020. Il y dénonce un supposé scandale sanitaire lié au « trucage » par les industriels des tests mesurant le débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones mobiles.
De son côté, Dominique Belpomme a dirigé « Le livre noir des ondes », ouvrage collectif paru en janvier 2021 et qui prétend apporter « pour la première fois la preuve que nombre de nos maladies et problèmes de santé sont bien en partie causés par les ondes qui nous entourent ». Ce livre comprend notamment une contribution de Pierre Le Ruz, une personnalité qui a longtemps présidé le CRIIREM (Centre de Recherche et d’Information Indépendant sur les Rayonnements Electro Magnétiques non ionisants), une des autres organisations présentées comme « références scientifiques » de la galaxie anti-ondes.
Sur le site officiel du « Le livre noir des ondes », Dominique Belpomme est présenté comme « professeur de cancérologie au Centre Hospitalier Universitaire Necker-Enfants malades ». Début mars 2021, il n’apparait pas dans l’annuaire des médecins actuellement en exercice au sein de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Par ailleurs, le professeur Belpomme est sous le coup, depuis 2017, d’une procédure disciplinaire initiée par le Conseil national de l’ordre des médecins, qui lui reproche d’avoir diagnostiqué des cas d’« électro-hypersensibilité » à partir de méthodes non validées scientifiquement.
Dominique Belpomme, au cœur du réseau anti-ondes
Dominique Belpomme est la figure centrale d’un réseau d’associations, qu’il a fondées ou contribuées à fonder, engagées sur la thématique de l’électro-hypersensibilité : l’ARTAC (Association pour la Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse), la société Française de Médecine Environnementale (ISDE-France) et l’Institut de recherche européen sur le cancer et l’environnement (ECERI).
Figure de proue de cet entrelacs associatif, l’ARTAC se présente comme un « réseau de centres de recherche » disposant d’un relais européen : l’ECERI, dont le siège est à Bruxelles. Travaillant sur les « causes environnementales du cancer », l’ARTAC s’intéresse aux effets des champs électromagnétiques et de la pollution chimique sur la santé. Elle est ainsi à l’origine, en 2004, de « l’Appel de Paris », une « déclaration historique sur les dangers sanitaires de la pollution chimique ».
Afin de promouvoir cette déclaration, Dominique Belpomme a fondé l’ISDE-France. Cette association est la branche française de l’International Society of Doctors for the Environment (ISDE), une organisation basée en Suisse qui rassemble des professionnels de santé « préoccupés par l’augmentation des états pathologiques liés à la dégradation de l’environnement ».
L’appel de Paris a donné lieu à l’organisation de plusieurs colloques. Le dernier s’est tenu en mai 2015 à Bruxelles (Belgique). Consacré à « l’electrohypersensibilité et la sensibilité aux produits chimiques multiples », il a réuni des scientifiques associés au rapport BioInitiative (les Américains Cindy Sage et David O. Carpenter, le Suédois Olle Johansson…).
Publié en 2007, et censé démontrer la dangerosité des champs électromagnétiques, ce rapport a été infirmé par de nombreuses instances scientifiques. Cela ne l’empêche pas d’être utilisé par les militants pour crédibiliser leurs revendications. Ainsi, il est toujours mis en avant sur la page d’accueil du site internet de Robin des toits, qui en fait une preuve de la « nocivité » des ondes « du type téléphonie mobile ». De même, il est mentionné sur la page « Notre engagement » du site internet de PRIARTEM (section « La santé environnementale »).
L’invocation constante du rapport BioInitiative par des militants français souligne leur intégration dans un réseau international d’opposants aux ondes.
Des militants français très intégrés dans l’Internationale anti-ondes
PRIARTEM et Robin des toits sont toutes deux membres de l’Alliance internationale des champs électromagnétiques (International Electromagnetic Fields Alliance, IEMFA), qui réunit des organisations et des scientifiques convaincus que l’exposition aux ondes peut avoir de graves conséquences sur la santé.
Cette « Internationale » anti-ondes rassemble des chercheurs controversés, dont des participants au rapport BioInitiative. PRIARTEM occupe une place de choix parmi les associations françaises liées à l’IEMFA. En effet, Daniel Oberhausen, qui fut longtemps son « délégué scientifique », en est l’un des fondateurs.
L’Alliance internationale des champs électromagnétiques est à l’origine d’un appel alertant, en mai 2015, sur les dangers de l’exposition aux champs électromagnétiques. En septembre 2017, un autre appel, consacré spécifiquement aux « potentiels graves effets sanitaires de la 5G », a été publié. Ces appels ont été signés par un petit groupe de scientifiques français, dont Dominique Belpomme, Pierre Le Ruz et Marc Arazi.
Pour espérer peser dans le débat public, les opposants aux ondes adoptent simultanément deux stratégies. D’une part, à l’image de ce que peut entreprendre PRIARTEM, le recours à différents modes d’action directe (pétitions, appels, actions en justice…). D’autre part, la valorisation de travaux émanant de scientifiques controversés, mais médiatiques (Dominique Belpomme, Marc Arazi…). Si cette stratégie donne encore quelques succès (les interviews accordées à Marc Arazi en sont la preuve), elle n’en reste pas moins fragilisée par le discrédit associé à Dominique Belpomme (sous le coup d’une procédure disciplinaire initiée par le Conseil national de l’ordre des médecins), la principale caution scientifique des militants. Dans ces conditions, la galaxie anti-ondes peine à porter efficacement ses revendications au-delà d’un espace restreint de sympathisants.
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