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Partager des infox, une mauvaise habitude

publié le 01/02/2023

TwitterInstagramTikTok… Les réseaux sociaux sont des espaces propices à la diffusion d’infox. Ces infox émanent le plus souvent d’un petit nombre d’émetteurs dont les publications sont massivement partagées. Mais pourquoi les internautes relayent-ils de fausses informations ? Pour des chercheurs en psychologie des universités de Yale et de Californie du Sud (États-Unis), il s’agit avant tout d’une mauvaise habitude, que le fonctionnement actuel des réseaux sociaux encourage. Le résultat de leurs travaux a été publié en janvier 2023 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.Comment l'habitude influence-t-elle le partage d’informations en ligne ? Retour sur une étude américaine publiée en janvier 2023

Une hypothèse originale

Deux éléments sont régulièrement avancés pour expliquer le fort engagement (commentaires, likes, partages) que suscitent les infox sur les réseaux sociaux. D’une part, certains internautes manqueraient d’esprit critique, notamment face à des contenus à forte teneur émotionnelle. D’autre part, la polarisation politique pousserait les internautes à diffuser des informations conforment à leurs opinions, quand bien même ces informations seraient fausses.

Ces explications placent l’individu au cœur du problème. Pour limiter la diffusion d’infox, il suffirait que les internautes soient suffisamment informés, et qu’ils acceptent de prendre du recul vis-à-vis de leurs opinions politiques. Pour les auteurs de l’étude, cette approche n’est pas entièrement satisfaisante. En effet, plus que l’individu, ils estiment que ce sont les plateformes qui encouragent la diffusion d’infox. Ils dénoncent en particulier le mode de fonctionnement des algorithmes, lesquels incitent les internautes à partager les contenus les plus viraux. Les chercheurs postulent que cette incitation créer à la longue des « habitudes de partage » qui, une fois prises, rendent l’utilisateur moins sensible aux contenus qu’il relaye. Ainsi, une part non négligeable des infox relayées sur les réseaux sociaux le serait non par conviction, mais par « habitude » de partager tout type de contenus.

Afin de tester cette hypothèse, quatre expériences ont été menées auprès de 2 400 utilisateurs de Facebook, avec pour objectif de déterminer comment la « force des habitudes » agit sur le partage d’informations en ligne.

Habitude de partage forte et propagation d’infox : un lien indiscutable

Dans un premier temps, 16 articles de presse – 8 vraies infos et 8 infox – ont été présentés à 200 participants aux habitudes de partages diverses. Chaque participant avait ensuite la possibilité de partager ou non ces articles.

Il ressort de cette expérience que les utilisateurs avec une habitude de partage forte sont aussi ceux qui diffusent le plus de fausses informations. Ainsi, ces profils ont partagé presque autant d’infos vraies (43%) que d’infox (37%). Dans le détail, les 15% d’utilisateurs les plus partageurs sont à l’origine de 37% des infox relayés dans le cadre de l’étude. À titre de comparaison, la proportion d’infox relayée par les internautes ayant une habitude de partage faible se limite à 6%.

Proportion d’infox et de vraies infos relayée par les internautes en fonction de leur habitude de partage

Proportion d’infox et de vraies infos relayée par les internautes en fonction de leur habitude de partage

 

Identifier les infox, une protection insuffisante contre le partage de masse

La diffusion massive d’infox par les utilisateurs les plus partageurs est-elle liée à un manque de réflexion? Pour le savoir, les chercheurs ont demandé à d’autres participants de déterminer en amont lesquels des 16 articles étaient de vraies infos et lesquels étaient des infox. Or, même en connaissant ces informations, la proportion d’infox relayée par les internautes ayant une habitude de partage forte demeure élevée : 22%, contre 3% chez les internautes ayant une habitude de partage faible. Autrement dit, savoir qu’une information est fausse ne dissuade pas totalement les utilisateurs les plus partageurs de la relayer.

Proportion d’infox et de vraies infos relayée par les internautes en fonction de leur habitude de partage, après avoir préalablement identifié les contenus fiables et non fiables

Proportion d’infox et de vraies infos relayée par les internautes en fonction de leur habitude de partage, après avoir préalablement identifié les contenus fiables et non fiables

 

Une habitude de partage décorrélée des opinions politiques

Les utilisateurs les plus partageurs sont moins sensibles que les autres à l’orientation politique des articles qu’ils relayent. Il s’agit du principal enseignement de la troisième expérience menée par les chercheurs. Les utilisateurs ayant une habitude de partage forte ont ainsi relayés des articles opposés à leurs propres opinions politiques dans 13% des cas, contre 3% chez les internautes ayant une habitude de partage faible.

Changer de modèle

Selon les chercheurs, les habitudes de partage sont forgées par le système de « récompenses » mis en place sur les plateformes. En l’espèce, il s’agit des fonctionnalités d’engagement : likes, partages et commentaires. Ces marques de « reconnaissance sociale » incitent les utilisateurs à partager. Ce système fondé sur l’engagement favorise la propagation d’infox. En effet, ces contenus génèrent souvent un fort engagement, et sont donc valorisés.

Lors d’une dernière expérience, les auteurs ont cherché à savoir ce qu’il se produirait si les utilisateurs étaient incités à partager des informations vérifiées. Pour ce faire, des participants partageant de vraies infos ont systématiquement été récompensés (par des likes, etc.). Cette approche a conduit ce groupe test à partager de vraies infos dans 72% des cas, contre 45% au sein du groupe de contrôle (non soumis aux incitations). De plus, cette habitude positive a été pleinement intégrée par les utilisateurs du groupe test. Après la suppression des incitations, ce groupe a ainsi continué à partager plus de vraies infos (66%) que le groupe de contrôle (45%). Ces résultats indiquent que les habitudes de partage peuvent être rendues plus vertueuses. Il suffirait, selon les chercheurs, que l’environnement en ligne proposé par les plateformes soit construit de manière à mieux récompenser le partage d’informations fiable.

En définitive, les quatre expériences réalisées ont permis de mettre en lumière que les infox sont souvent relayées par habitude, plus que par conviction. Les internautes les plus actifs ne s’intéressent pas particulièrement aux contenus partagés : peu importe qu’il s’agisse d’une information fiable, d’une infox, ou d’une info qui va à l’encontre de leurs opinions politiques. Ce qui les motive, c’est surtout l’engagement associé à un contenu (likes, partages, commentaires). En l’état, ce système favorise la propagation d’infox. Toutefois, cette situation n’est pas immuable. Selon les chercheurs, la solution serait que l’algorithme des plateformes soit modifié afin de promouvoir les informations vérifiées, plutôt que les contenus populaires.

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